Il y a eu un temps où j'ai cru que je pourrais faire plein de chose.
Ou quelque chose en tout cas.
Un monde merveilleux et écoleux qui ne connaîtrait jamais la crise. J'avais construis une vraie ville en playmobiles avec de grandes autoroutes aériennes pour mes vaissaux spatiaux, des piscines qui pouvaient se transformer en port d'ammarage pour mes bateaux. Y avait aussi des terrasses pour boire les apéros, une mairie pour marier Luna et Zoé. Elles se promenaient toujours en se tenant par la main ces deux-là. La dernière fois que je les ai vues c'était dans le grand grenier du boulevard Foch à Angers chez ma mère. J'ai aperçu Luna dans un coin, les jambes ramassées sous elle. Je n'ai pas vu Zoé. Puis ma mère a déménagé, je n'étais pas là, je crois qu'elles sont mortes ce jour-là.
Un été j'ai décidé de devenir bédéiste. Quelque chose entre Jacques Martin et Roba mais en bien plus spirituel. Alors j'ai tanné ma grand-mère pour qu'elle m'achète plein de feuilles à dessin, bien épaisses, au moins du 32 grammes, sinon c'est pas bien. J'ai également choisi plein de feutres noirs car moi, voyez-vous, j'étais bédéiste, pas coloriste. Je crois que j'ai jamais dépassé la deuxième case ni n'ai jamais rempli une bulle. Pourtant j'en ai froissé des pages, plein ma poubelle. Je me suis retrouvée quelques années plus tard avec plein de feuilles canson dans mon placard et j'ai fini par les jeter car je n'avais pas de placard dans mon 12m² à Paris.
Après quand j'étais ado, j'ai décidé que j'allais passer chez Pivot. J'y pensais chaque nuit. Mes rêves étaient organisés, minutés, je connaissais ses questions, c'était toujours les mêmes, chaque nuit, mais je faisais semblant d'improviser les réponses avec un très grand professionnalisme. Vous comprenez, j'avais un rôle à tenir, j'étais quand même la plus jeune romancière à obtenir un prix aussi remarquable. Puis Pivot a été débarqué. Moi j'ai continué mon rôle mais c'était moins drôle.
Alors l'été d'après, je serais écrivain, j'ai dit. J'ai noirci les pages de deux cahiers d'écolier. Je suis restée les deux mois d'été enfermée dans ma chambre. De toutes façons, je n'avais pas d'amis. Alors j'ai écrit une grande histoire qui parlait de différence, d'indifférence et de sodomie, je sais plus, j'ai pas tout compris. En déménageant en juillet dernier, je les ai retrouvées, ces deux cahiers, dans une vieille malle que je n'avais pas ouverte depuis des années. Je cherchais mon Bac. Les pages étaient jaunies et l'encre avait coulé. J'ai pas retrouvé mon Bac.
Un jour, au printemps, j'ai décidé que je serais une rock star, la fille spirituelle de Mariane Faithfull et de Iggy Pop, voyez le genre. Alors je me suis achetée une guitare. Le médiator et la sangle en cuir noir qui porte bien. Je me suis esquintée les doigts des nuits durant sur les cordes en acier devant mes partitions de China girl. Puis, je suis tombée sur Kashmir. Et j'ai tout laissé tomber d'un coup. De toutes façons, une lesbienne peut pas avoir de corne sur les doigts, c'est une incohérence. Aujourd'hui je regrette de l'avoir donnée cette guitare. Elle aura fait bien dans le coin, là, derrière la lampe.
Après j'ai plus cru à grand chose ni vraiment décidé quoi que ce soit. J'ai laissé faire. J'étais juriste malgré moi, j'avais pas fait exprès, la même année, j'ai réussi à me faire virer et à me faire larguer, j'avais pas fait exprès non plus. Le temps a passé. Je ne sais pas si j'ai fait quelque chose mais au final j'ai fait plein de choses. Je n'ai pas tout mais j'ai tout ce que je veux.